La loge de la bawaba

2009

LitBawabaChez mon amie F. qui m’héberge pendant deux semaines, le bawab est une bawaba (je préfère écrire ça plutôt que « le portier est une portière »). C’est une petite vieille  au foulard  noué sur la nuque comme les paysannes de tous les pays. Son territoire est composé de deux rues joignant le Four Seasons à la Mère de Dieu, dans le quartier de Garden City. On y croise parfois un très beau cheval décoré d’un harnais de fête. Seul, à l’arrêt, une de ces bêtes qui vous consolent du tohu-bohu de la corniche toute proche et vous rappelle que la ville regorge de paysans déracinés, les Saïdis, comme on les appelle ici, avec ou sans leurs animaux.Je ne sais pas comment s’appelle la petite bawaba. Elle me parle à toute vitesse dans un arabe tellement éloigné de l’arabe classique que j’ai appris. Mais elle est là, tous les matins dès l’aube, à l’angle du trottoir, me fait un signe de la main. Et le soir, comme elle sait que je ne suis pas pressée, elle me serre dans ses bras en me parlant de Dieu, qu’il me protège, que sa volonté soit faite.

Elle loge dans un réduit à gauche de l’ascenseur hors d’âge. M’explique un jour, à grand renfort de gestes que « vrrouff ! » pendant la journée, la cage est tombée d’un coup, et que ce sera réparé dans la soirée, inch Allah. Du coup, je décide de faire un peu plus de sport en montant les quatre étages à pied chaque soir.

Quand elle n’est pas dans la rue, la bawaba surveille l’entrée depuis son matelas. Sa couche, surélevée, emplit toute la surface du minuscule réduit, mais au fond, à ma grande surprise, il y a une porte ouverte sur la cour intérieure, qu’elle emprunte pour aller récupérer les poubelles laissées par les résidents en haut des escaliers de secours. Que vous triiez ou non vos déchets, sachez qu’au Caire, tout se récupère, se trie et se recycle. Ce qui est irrécupérable est brûlé en plein air. Il manque un élément au dernier bout de la chaîne de recyclage. Dommage.

Un jour en rentrant, je ne la vois pas dans la rue. Ni dans l’encadrement du réduit, bien que la porte soit ouverte. Je m’approche. Personne. Mais je reste en arrêt devant le décor, fascinant, fait d’un magnifique compteur électrique aux normes égyptiennes, de la photo d’un bel homme à la fine moustache dans un cadre en bon état, d’un calendrier de l’année et d’un autre datant d’ il y a cinq ans, de pense-bêtes punaisés sur le mur, … condensé d’une vie de bawaba, veuve d’un bawab respecté.

compteurelectricite

Une Réponse vers “La loge de la bawaba”

  1. Colette said

    On voudrait la connaître cette bawaba

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