El Alamein : combien de morts ?
2009
Dans la nuit du 23 au 24 octobre 1942 se déroula en Egypte la bataille décisive de la seconde guerre mondiale. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Winston Churchill lui-même : «Avant El Alamein, dit-il en mâchant son cigare, nous n’avons jamais eu de victoire, après El Alamein, nous n’avons jamais eu de défaite !»
C’est une longue histoire, puisque dès décembre 1940, les Anglais avaient attaqué la Libye, alors colonie italienne, depuis l’Egypte, alors protectorat anglais. Les Italiens ont appelé leurs alliés allemands à la rescousse. Et le général Erwin Rommel, surnommé plus tard le « Renard du désert », est arrivé à Tripoli en avril 1941, avec ses soldats et ses chars.
En 1942, après une partie de ping pong acharnée entre les deux camps, les forces se trouvaient à peu près équilibrées : 125.000 hommes et 740 chars chez les anglais et leurs alliés contre 113.000 hommes et 570 chars pour les allemands et les italiens, appelés les « forces de l’Axe ». Mais Rommel fait preuve d’une audace qui oblige les anglais à reculer.
C’est là qu’intervient Bir Hakeim, que Wikipedia qualifie de « point d’eau désaffecté » et le général St Hillier de « grain de sable » : y séjournaient, on se demande pourquoi (apparemment pas pour y puiser de l’eau), un petit groupe de Français qui avaient répondu à l’appel du 18 juin 1940 et étaient résolus à se battre contre l’occupation allemande où qu’elle se trouve.
Bir Hakeim 31°36′N 23°29′E / 31.6, 23.483 (parfois orthographié anciennement Bir Hacheim) est un point d’eau désaffecté au milieu du désert de Libye, auprès duquel avait jadis existé un fortin turc. Pendant seize jours, du 26 mai au 11 juin 1942, la première brigade française libre du général Kœnig y résista aux attaques des armées motorisées italiennes et allemandes (l’Afrika Korps) du général Rommel. Le répit, ainsi gagné par les Français libres, permit aux Britanniques, en mauvaise posture, de se replier et de triompher par la suite à El Alamein. Le général Saint-Hillier dira en octobre 1991 dans un entretien : « Il fallut qu’un grain de sable enrayât l’avance italo-allemande, qui n’atteignit El-Alamein qu’après l’arrivée des divisions britanniques fraîches : le grain de sable s’appelait Bir Hakeim. »
Le temps me manque pour aller plus avant dans mes recherches, mais ce grain de sable en plein désert m’intrigue. Toujours est-il qu’ils ont laissé derrière eux « 127 morts et 814 disparus » selon le site de la revue Hérodote. Je suis troublée d’apprendre que 814 (pas 815) soldats peuvent disparaître comme ça au milieu du désert libyen. Où sont passés les corps ? Ont-ils été emportés par les allemands, enfouis dans le sable, réduits en miettes par les mines, mangés par les vautours ? Quoi qu’il en soit, c’étaient sans doute des héros puisqu’ils se sont sacrifiés pour laisser le temps aux anglais de renforcer leur ligne de défense devant El Alamein.
El Alamein, c’est une succession de batailles, d’avancée et de retraits sur un désert transformé en champ de mines. On imagine ce que dut être l’été 1942 pour les soldats des deux camps. Sur les photos, ils sont chaussés de gros godillots avec chaussettes aux genoux, mais ont troqué le pantalon pour le bermuda. Pauvres gars.
Le 23 octobre 1942, alors que Rommel était en Allemagne, apparemment pour demander du renfort à Hitler, le général anglais Montgomery attaque. Les hommes tombent, pendant plus d’une semaine, et le désert n’a plus rien de poétique : il est jonché de cadavres et de mines.
Aujourd’hui, comme les côtes normandes où eut lieu le débarquement, El Alamein se visite, on y a installé un aéroport, et des complexes hôteliers le long des plages. On peut y voir le Mémorial allemand, le cimetière italien, le cimetière des Alliés, qui comprend plus de 7000 tombes. Dans les guides, Routard ou autres, on y lit des chiffres fantaisistes : 80.000 morts, 63.000 morts, qui dit mieux ? Le Quid indique froidement : « pertes anglaises : 13 560 †, blessés et disparus, 500 chars hors de combat, 97 avions ; allemandes : 4 000 †, 30 000 prisonniers, 550 chars hors de combat ». Quant à Encarta, elle mentionne 2300 morts et 28.000 prisonniers allemands pour octobre novembre 1942.
Le jeune bédouin vêtu de blanc qui nous a ouvert la porte de l’imposant mémorial allemand nous a montré un registre de cuir noir, où étaient inscrits les noms de tous ces soldats, nazis ou non, qui sont venus mourir à El Alamein. Il semblait passionné par son sujet. Savait-il que le désert entre El Alamein et la frontière libyenne est sans doute le plus vaste champ de mines du monde ? Qu’il a reçu une pluie de bombes – 21 millions !- abrite les restes disloqués d’un millier de chars hors de combat, et que 2800 km2 sont encore minés ? La région est délimitée, peu fréquentée, si ce n’est par les bédouins, dont plus de 600 ont malencontreusement sauté sur un de ces engins.
Moi qui avais l’intention de tenter la traversée du désert de la Mauritanie à l’Egypte (enfin, un jour lointain, quand je serai à la retraite…), je vais peut-être revoir mes projets : pourquoi ne pas longer la mer ?
Bir Hakeim est comme nous le rappelle le fait qu’une station du métro parisien a pris ce nom une grande victoire pour les troupes de la France Libre. La brigade commandée par le Général Koenig avait été envoyé tenir ce point de passage afin de retarder au maximum l’avancée allemande. Ils devaient tenir 15 jours avant de s’enfuir à travers les lignes ennemies pour participer quelques mois plus tard à la bataille d’El Alamein.
Les 814 portés disparus sont en fait les Français Libres faits prisonniers par les Forces de l’Axe et que Hitler avait envisagé de faire fusiller.