Chez Mohamed

2011

Le restaurant Mohamed est situé à 100 mètres de la billetterie. La ruelle de terre est peu éclairée, mais un petit groupe qui prend le frais dehors me salue et propose de l’aide.

L’entrée du restaurant est à cinquante mètres, un portail vert surmonté d’un arbre au tronc tordu en guise de pergola. A l’intérieur, abrité par un toit de palmes tressées, un aimable fouillis de plantes, de cruches et d’objets divers, et une toile tendue sur toute la longueur de la cour décorée de peintures très « baladi ». Je ne vois que l’adjectif rustique pour traduire le mot baladi, que certains cairotes prononcent avec une moue de dédain. Moi j’aime bien, mais chacun ses goûts.

L’endroit est désert. Finalement un jeune homme apparaît et me demande sans enthousiasme ce que je veux. Manger, c’est possible? Oui, c’est possible. Il m’énumère la carte d’une voix atone : salade, légumes, riz, frites, poulet, kefta, canard. Je commande une salade, des légumes, du canard et une bière. Seule dans la salle à manger, sous le ventilateur, perchée sur un banc trop haut, les pieds au-dessus du sol, j’observe le décor en veillant à ne pas glisser de mon coussin.

Sur le mur, plusieurs personnages grandeur nature  portent des instruments de musique. Et sur un rebord, une chicha très spéciale attire le regard, sans qu’on sache si elle fait partie du décor ou si elle a juste été posée là par son propriétaire.

On me sert une belle cuisse de canard grillée, ferme et goutue. Un vieux à l’allure hiératique vient arroser les plantes et le sol du côté où je ne suis pas, sans me jeter un regard. Quand je lui demande l’addition, il me fait le prix égyptien, 35 livres avec la bière, et m’offre un collier de perles d’argile peintes en bleu et jaune. Comme je n’ai pas la monnaie il refuse, grand seigneur, mon billet de 100 livres : bokra, inch Allah. Et il retourne à son jardinage.  Il a tout du type honnête qui n’a pas réussi à développer son business parce que trop honnête, ou allergique au bruit et au brassage d’air des groupes organisés. Enfin, quand je me lève pour partir, il consent à me dire quelques mots, en français. J’apprends qu’il est allé dans plusieurs villes de France pour se produire avec les musiciens de son groupe. D’où les décorations murales. Intrigant.

Je retourne donc le lendemain midi chez Mohamed. Cette fois-ci une table est occupée par un groupe de six français avec leur guide. L’endroit est bien ventilé, ce qui rend la chaleur supportable. Je m’attarde après le départ du groupe et lis tranquillement. J’avais oublié que c’était l’heure de la grande prière du vendredi, et au moment de payer, vers 15h00, je ne trouve plus personne.

A 15h30 Mohamed réapparaît, un plateau à la main. Il se sert un thé, sans faire plus attention à moi que si je faisais partie du décor.  Transporte deux ou trois bassines d’un endroit à un autre, revient portant le très vieux narguilé et s’assied sur une banquette à l’autre extrémité de la salle pour fumer sa chicha. Que je prenne une photo ? Mafish mouchkila, fait-il, et dans ses yeux, j’aperçois une lueur de moquerie. Prends une photo, si ça t’amuse, du vieux saïdi typique avec son narguilé. C’est pas ça qui le rendra plus pauvre, ni plus riche.

2 Réponses to “Chez Mohamed”

  1. Ne serait-ce point le Mohamed de la CHRONIQUE DE LA NECROPOLE de GOLO installé à Gurnah . Un e bd qui vient de paraitre chez Futuropolis ( trés fortement recommandée ) . Amitiés.

  2. Lune said

    Mohammed chez qui j’ai mangé plusieurs fois (resto près du Pharaos Hôtel) est si bien décrit ici. C’est un personnage très attachant malgré un mutisme parfois. Il vit sa vie, là, tout simplement.
    Merci

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