Après la Révolution

2011

Je sais, je n’ai pas écrit pendant la Révolution, et pourtant les heures passées devant Internet cet hiver, les événements suivis jour après jour, heure par heure, tremblé que l’armée ne finisse par tirer sur la foule, participé à une manifestation à Paris, au coude à coude avec des égyptiens inquiets épaulés par des tunisiens victorieux, entendu la clameur en direct sur la place Tharir à l’annonce de la démission de Moubarak, grand moment d’émotion, suivi de SMS comme pour annoncer le Nouvel An. J’ai vécu au rythme de la place Tahrir, dont il faut absolument prononcer le h, comme dans Mohamed, pour en retirer tout l’effet dramatique. Pour les deux r roulés, on fait ce qu’on peut.

J’ai rêvé d’être journaliste, juste pour avoir une raison d’être là-bas plutôt que chez moi, de l’autre côté de la Méditerrannée.  Raté ma vocation : la recherche de l’équilibre entre l’émotion instantanée et l’analyse, cela m’aurait passionnée.

Je suis retournée en Egypte début avril, à l’heure où le peuple veut, après la chute du régime, la condamnation en justice des profiteurs et spoliateurs de l’Etat, et des criminels en cols blancs. Vu, au Nouveau Caire, les belles villas fermées des anciens ministres, et celles de leurs voisins, révolutionnaires de fraîche date, décorées de drapeaux égyptiens ; admiré aussi les superbes photos de la villa de l’ex président, ses piscines, ses jaccuzis, ses jardins, étalés en double page du journal.

J’ai stationné près de deux heures dans mon café favori sans m’ennuyer, attendant l’arrivée d’amis égyptiens pris dans les embouteillages ( la place Tahrir bloquée ne favorise pas la circulation déjà critique au centre ville). Découvert un autre pays, réveillé, sous le feuillage lavé par une pluie bienfaisante. Il avait plu la veille, événement rarissime en avril. Un autre pays avec les même gens, lavés eux aussi de la crainte d’être trop bavards. Un an plus tôt ils baissaient la voix sans même sans rendre compte pour prononcer le nom de Moubarak .

Et voilà que la politique envahissait les trottoirs, débordait sur les rues. L’ambiance est joyeuse, avec un zeste d’excitation ; le café est bondé, de jeunes autant que de vieux, lisant et commentant les journaux, jouant au jacquet, aux cartes. Ils vont et viennent, se font la bise, des sourires, des éclats de rire au milieu des klaxons et des cris du tenancier qui lance les commandes à voix haute, sans oublier le brocanteur avec son chariot qui crie « beeekia » . Une camionnette hors d’âge passe, remplie de fillettes surexcitées. Les gamines se penchent à la vitre, et crient le slogan de la révolution « le peuple /veut /la chute du régime », comme une comptine qu’on ne se lasse pas de répéter. Tout le monde les regarde avec indulgence, en souriant.

Des tags sur les murs, et des affiches publicitaires sur fond de drapeaux égyptiens à la place des portraits de l’immuable président figé dans la quarantaine ; le tirage d’Al Ahram, le quotidien officiel, a dramatiquement chuté, celui de Misr Alyaoum a explosé. Les marchands de drapeaux engrangent les bénéfices de la Révolution, ainsi que les producteurs de stickers 25 janvier, de la taille d’une plaque d’immatriculation, propres à décourager les rares policiers encore susceptibles de verbaliser. D’autres stickers, plus pédagogiques, incitent à changer les comportements : «  Hier je donnais un bakchich pour éviter de faire la queue, aujourd’hui je change ! » proclame celui-ci. Et cet autre annonce : «  A partir d’aujourd’hui, ma vie va changer ! »

C’est vrai que l’air du Caire a changé, même si le taux de pollution est resté le même, à en croire ma migraine qui monte.

Quand j’ai repris l’avion à Sharm El Cheikh, j’avais sous le bras un exemplaire d’Al Ahram,  récupéré dans l’avion en provenance du Caire. Au passage de la sécurité, le jeune policier m’arrête, demande à voir mon journal, appelle les collègues pour en décortiquer le contenu. Plus un quotidien à vendre à l’aéroport de Sharm El Cheikh, à 9h00 du matin. Je les laisse à leur lecture passionnée, tant pis pour mon journal-souvenir. C’est ça aussi, la Révolution.

Comme dit un ami égyptien:  » Les gens s’intéressent enfin à autre chose qu’au football ». Mais tous ces drapeaux étalés, cette exaltation nationaliste, cela l’inquiète aussi. Comment vivront-ils l’après Révolution?

2 Réponses to “Après la Révolution”

  1. Émouvant ! comme un vent vivifiant qui parcourt le Fleuve !

  2. J-C Vetault said

    Ce document prend tout son sel, quand on sait comment tout cela a fini et que tout est à refaire. Pauvre peuple Égyptien.

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